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L’Ane par Édouard Drumont

Texte d’ÉDOUARD DRUMONT.
(1844-1917) : L’Ane (1882).

Article mis en ligne le 28 octobre 2015
dernière modification le 26 octobre 2021

par christian
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Ane, je te salue, éternel porteur de bât, Ane utile, Ane patient, Ane toujours raillé, Ane à l’échine meurtrie, Ane aux longues oreilles, Ane, je te salue…

L’Ane, vous dira Buffon, est de la famille du Cheval. Sans doute, mais c’est un cadet ; semblable à ces déshérités dont les parents occupent de brillantes positions, il est voué d’avance à la vie humiliée et douloureuse, condamné au labeur sans trêve, destiné aux coups. Dans l’ordre équestre, l’Ane d’ailleurs n’entre guère que par surprise, comme certains plébéiens n’entrent dans la maison de quelque grand seigneur que par la porte bâtarde.

Le Cheval, lui est un animal héroïque ; il fait figure dans l’histoire, il a sa place dans l’art, il orne les bas-reliefs monumentaux, il est attelé au quadrige des triomphateurs ; il s’élance du ciseau de Phidias pour courir sur le fronton du Parthénon. Il est, selon Lamartine, le piédestal des rois ; il est le coursier fougueux que César éperonne, de Victor Hugo, et pour lui le Richard III de Shakespeare offre un royaume un soir de défaite. Acteur dans les ardents combats, il participe de l’enthousiasme que l’Humanité éprouve pour ceux qui tuent. A Epsom ou à Longchamp, il tient cent mille hommes haletants au bout de son sabot. Il a des noms : il se nomme Incitatus et on le proclame consul, et devant lui marchent les faisceaux des Scipion et des Métellus ; il s’appelle Bucéphale ou Veillantif, et il porte Alexandre ou Roland ; il est inscrit au Stud-book sous le nom de Gladiateur ou de Monarque, et il gagne des millions à son maître avec ses jambes ; il est chanté sous le nom de Pégase et il emporte les poètes à l’hôpital sur ses ailes. Il a une généalogie comme un gentilhomme et des journaux comme le peuple souverain.

L’Ane ne sait ce que c’est qu’une généalogie, le sang d’âne court les prés comme le sang de peuple court les rues et les ruisseaux. Fécond comme les pauvres, l’Ane enfante au hasard des milliers d’ânons qui travailleront comme lui et, comme lui, souffriront les mauvais traitements. En fait de nom, il n’a qu’un sobriquet, il est Aliboron. Pour lui, le livre d’or de Clio ne s’ouvre pas, et s’il va à la bataille, pour laquelle les fabulistes lui reprochent unanimement de n’avoir qu’un goût modéré, c’est pour s’exposer aux coups sans pouvoir acquérir de gloire. A travers les ornières qu’ont faites les canons, il traîne la cantine qui versera une goutte de cordial à quelque agonisant ; il est dans les ambulances…

Être utile, voilà quel est le rôle de l’Ane ici-bas. Sous la pluie et sous le soleil, il transporte au marché les légumes et les fruits, il va chaque jour au moulin, pliant sous le poids de sacs de farine, il sert aux femmes et aux enfants, et si parfois il rechigne un peu devant quelque fardeau trop lourd, il se résigne vite et, soutenu par cette philosophie qui le caractérise, il se remet bien vite en route.

Prolifique comme le prolétaire, accommodant d’humeur et facile à vivre comme lui, l’Ane n’est-il point l’image du vilain toujours peinant, toujours écrasé sous l’impôt, toujours produisant plus qu’il ne consomme et toujours conspué par ceux qui consomment plus qu’ils ne produisent ?

Par un illogisme qui s’explique par le désir d’être dispensé même de la reconnaissance, on s’est efforcé, en effet, de rendre ridicule ce paria. Ce n’est point seulement une victime qu’on exploite, c’est une cible à toute plaisanterie. Les privilégiés qui reprochent à l’homme du peuple son ignorance au lieu de s’occuper de la faire cesser, ont personnifié l’ignare dans un animal qui sait ce que très peu de docteurs savent : supporter patiemment la souffrance…

Par un symbolisme plus profond qu’on ne croit, l’Ane n’apparaît dans la vie publique qu’en des manifestations qui semblent compléter encore la ressemblance de sa destinée avec celle du plébéien. Monté par Silène, il est mêlé aux fêtes orgiaques, il est flanqué à droite et à gauche d’outres remplies de ce vin dans lequel l’ouvrier cherche si souvent l’oubli de ses maux. Uni à son grave camarade le Bœuf dans l’étable de Béthléem, il réchauffe de son haleine ce divin nouveau-né qui vient dire au monde : « Heureux les pauvres, car le royaume du ciel leur appartient ! »

Le jour de l’entrée triomphale à Jérusalem, c’est lui qui porte le Sauveur. Aux vainqueurs altiers, aux manieurs de glaive farouches, à ceux que la Victoire précède en sonnant dans son clairon et que la Mort accompagne avec des cris d’oiseau de proie, le Cheval qui piaffe et qui hennit. Au doux conquérant, à l’ami des humbles, l’Ane modeste et résigné. L’esclave, bête de somme humaine ; l’Ane, esclave de l’ordre animal, sont réhabilités le même jour. La croix infâme qui sert au supplice de l’un devient un signe sacré pour toute la terre, le dos pelé de l’autre sert de monture à Celui auquel les firmaments obéissent…

L’Église s’en souvient et le moyen âge célèbre ces fêtes de l’âne qui finissent par dégénérer en saturnales. Messire Ane pénètre dans le sanctuaire au bruit des hi-han joyeux de l’assistance en ce jour où tout est interverti ; où les serfs s’habillent en seigneurs, où les frères lais siègent au chœur.

Sous toutes les latitudes le sort de l’Ane est le même. Sans doute on lui témoigne en Orient des égards qu’il ne rencontre pas en Europe et, si un ambassadeur turc a écrit que « Paris était le paradis des femmes et l’enfer des Chevaux », un voyageur paradoxal a pu soutenir « que Constantinople était le paradis des Anes et l’enfer des femmes ».

Il n’est point rare de trouver là-bas quelques Anes qui, bien nourris, ménagés, ignorants des brutalités, personnifient, en quelque sorte, l’aristocratie de la race asine. Qui ne connaît les Anes d’Orient de Decamps, la meilleure toile peut-être du maître ? Près d’une muraille blanche qui s’effrite, un Ane semble attendre le moment de se remettre en marche ; un autre, encore couché, a l’air de faire la sieste. Au premier plan un jeune Arabe à la physionomie rêveuse, paraît plus préoccupé de contempler la campagne inondée de soleil, que de tourmenter les animaux dont il a la garde.

Hélas ! les peintres sont menteurs comme les poètes, ut poesis pictura, et dans ses Croquis algériens M. Charles Jourdan nous a décrit un coin de la vie des Anes en Algérie, qui n’a rien de particulièrement gai. De l’autre côté de la Méditerranée tous les matériaux de construction sont transportés par des Anes qui seuls ont le pied assez sûr pour se risquer sur le pavé étroit et glissant. C’est une corporation rigoureusement fermée à tout profane, celle des Mzabites, qui a monopolisé l’exploitation des Anes.

Suivant leurs ressources, ils achètent quatorze, vingt-huit ou quarante-deux bourriquets ; plus parfois, mais toujours un multiple de quatorze, car l’escouade réglementaire, capable de transporter un mètre cube de matériaux quelconques : sable, chaux ou pierres, s’élève à ce chiffre. Cette escouade est conduite par quatre hommes qui sont chargés du soin, non seulement d’entretenir leurs Anes, mais de mettre constamment en état le bât et le double coussin qui constituent le harnachement de chaque bête.

Le harnais est des plus primitifs : une corde enroulée autour du cou de l’animal et formant collier. Veut-on mettre la bête en position pour être chargée ou déchargée, c’est par là qu’on la saisit ; quand elle résiste à la traction, le conducteur s’en prend sans façon aux oreilles ou à la queue, moyen de persuasion irrésistible.

"C’est un rude métier, écrit M. Charles Jourdan, que de pousser devant soi le troupeau aux longues oreilles, non qu’il soit indiscipliné, grand Dieu ! car les pauvres animaux qui le composent sont l’image vivante de la docilité et de la crainte, mais il faut charger les matériaux, les conduire sous un soleil brûlant ou sous des averses diluviennes, dans des endroits escarpés, que les charrettes ne peuvent aborder. La bête souffre, mais l’homme non plus ne ménage pas sa peine. Si âpre que soit cependant la besogne, cela n’enlève rien à la gaieté, ni à l’insouciance du conducteur.

Tantôt à pied dans la poussière, stimulant ses bourriquots qui trébuchent sous leur fardeau, tantôt perché sur la croupe de l’un d’eux, et les ramenant à vide, il chante à tue-tête un air monotone qu’il interrompt souvent pour lancer le cri : Arri ! au bruit duquel détale toute la bande.

Le bourriquotier n’a pas l’âme tendre ; armé d’un bâton à peine flexible, il frappe à coups redoublés sur les retardataires de la troupe et ne tarde pas à marbrer leurs cuisses maigres de blessures sanguinolentes. C’est toute l’amélioration que la Société protectrice des animaux a pu obtenir après des démarches et des plaintes sans nombre.

Autrefois les Mzabites ne frappaient jamais ; ils piquaient.

Un bâton plus court, à l’extrémité duquel était enchâssée une pointe de fer, leur servait d’aiguillon, et cet instrument barbare labourait sans cesse la croupe de leurs victimes. L’instrument de torture a changé, mais le traitement est toujours aussi cruel.

Cependant la physionomie de celui qui l’applique respire tout autre chose que la férocité. Sous sa peau hâlée, presque noire, s’étale un bon sourire et perce un franc regard. Il va gaiement son chemin, la tête enveloppée dans un haillon de cotonnade, le corps enfermé dans un sarrau de toile ou de laine taillé comme un sac, battant de ses jambes nues les flancs de sa grêle monture.

" Qu’il transporte des pierres à Alger ou qu’il porte des enfants et des jeunes filles à travers la forêt de Montmorency, dans ces joyeuses parties qu’a racontées Paul de Kock, l’Ane, on le voit, est partout victime des mêmes procédés ; partout il est digne de cette pitié que nous sommes heureux de lui témoigner publiquement ici…

L’Ane est-il donc irréprochable ? Quel que soit mon désir de rendre justice à ce grand méconnu, je ne voudrais pas aller jusqu’à soutenir cette thèse. La Fontaine, qui, selon moi, a été dur pour l’Ane, a bien vu cependant quelques traits de son caractère. L’Ane est un loustic, il aime les mauvaises plaisanteries et les tours d’un atticisme douteux : il s’amuse comme un fou à ces grosses malices au risque de les expier sous le bâton.

C’est un sournois. On est en droit de lui reprocher un entêtement bizarre, particulier aux gens qui n’ont pas de volonté. Vous les connaissez, ces obstinations incompréhensibles de lunatiques qui se butent à un rien après avoir tout supporté et qui déploient alors cette force d’inertie contre laquelle tous les arguments, même les plus frappants, viennent se briser. L’Ane est ainsi. Quelle idée traverse sa cervelle à certains moments ? Le vase est-il trop plein et déborde-t-il ? Est-il à bout et ne peut-il rien accepter après avoir tout subi ? Est-il révolté du peu de raison de l’homme qui lui demande plus qu’il ne saurait fournir ? On n’en sait rien. L’Anesse de Balaam n’a parlé qu’une fois et encore c’était dans le désert…

L’Ane est malencontreux, je vous l’accorde encore, ce qui tient à son défaut d’usage du monde. Les caresses que, dans son désir de rivaliser avec le petit Chien, il prodigue à son maître avec son pied, en accompagnant d’un chant gracieux cette action hardie, démontrent qu’il n’est point organisé pour la vie des cours. Il est naïvement vaniteux ; il prend pour lui les hommages qu’on rend aux reliques dont il est chargé ; tantôt il s’affuble de la peau du Lion pour épouvanter le voisinage ; tantôt il se fait honneur d’une victoire à laquelle il n’a contribué que par ses braiments.

Malgré tout, l’Ane sort sympathique de cette Comédie animale que La Fontaine nous a donnée avant que Balzac ne nous donnât la Comédie humaine. Il n’a point, comme tant d’autres, de gros méfaits sur la conscience, et la spontanéité de ses aveux dans les Animaux malades de la peste témoigne d’une âme de bête au fond candide et honnête. Qu’il est nature ce cri de Haro sur le baudet ! qui retentit contre le faible et l’innocent ! C’est cette iniquité précisément qui recommande maître Aliboron à la compassion de tous les cœurs généreux.

Sévèrement traité par les fabulistes, l’Ane n’a pas eu plus de chance avec les faiseurs d’histoire naturelle.

Buffon, chose curieuse, est le plus courtois de tous avec ce manant. Il semble, à lire le chapitre que le naturaliste à manchettes consacre à Aliboron, voir l’écrivain grand seigneur se promener aux environs de son château, s’arrêter en apercevant quelque Ane de meunier, et lui dire : « Approche ici, petit, que je te décrive. »

L’Ane, dit-il, est aussi humble, aussi patient, aussi tranquille que le Cheval est fier, ardent, impétueux ; il souffre avec constance, peut-être avec courage, les châtiments et les coups. Il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables que le Cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent. Il est fort délicat sur l’eau ; il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus. Il ne se vautre pas, comme le Cheval, dans la fange et dans l’eau ; il craint même de se mouiller les pieds et se détourne pour éviter la boue…

Il est susceptible d’éducation et l’on en a vu d’assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. Dans la première jeunesse, il est gai et même assez joli : il a de la légèreté et de la gentillesse ; mais il la perd bientôt soit par l’âge, soit par les mauvais traitements, et il devient lent, indocile et têtu ; il n’est ardent que pour le plaisir, ou plutôt il en est furieux, au point que rien ne peut le retenir et que l’on en a vu s’excéder et mourir quelques heures après. Comme il aime avec une espèce de fureur, il a aussi pour sa progéniture le plus fort attachement. Pline nous assure que lorsqu’on sépare la mère de son petit, elle passe à travers les flammes pour aller le rejoindre. Il s’attache aussi à son maître, quoiqu’il en soit ordinairement maltraité ; il le sent de loin et le distingue de tous les autres hommes. Il reconnaît aussi les lieux qu’il a coutume d’habiter, les chemins qu’il a fréquentés.

Toussenel, qui a trouvé souvent de si fines et de si ingénieuses analogies entre l’homme et l’animal, qui a découvert dans sa Zoologie passionnelle de si mystérieuses affinités entre l’être humain et la créature inférieure, n’a pas été indulgent pour l’Ane. Pour lui l’Ane est la personnification de l’Auvergnat, rude au travail, mais grossier et étranger à tout sentiment du Beau. Il reproche au pauvre Aliboron d’être un rural, conservateur égoïste, routinier, cupide et sec, borné d’apparence et malin en dessous.

Ne nous y trompons pas, écrit l’auteur de l’Esprit des bêtes, l’Ane, comme l’Auvergnat, est plus rusé et plus ignorant que sot, et l’histoire a recueilli de lui une foule de mots mémorables, notamment celui-ci : Notre ennemi, c’est notre maître. Ce qui prouve que la maligne bête s’exprime aussi en très bon français quand elle veut. La sottise pivotale que je reproche à l’Ane est de ne pas conformer son vote à cette opinion, et de donner toujours sa voix à celui qui le malmène le plus brutalement.

Cette contradiction bizarre entre ses bons mots et ses votes démontre que l’Ane ne fait d’opposition que par tempérament, et que cette opposition, chez lui, s’en tient volontiers à l’épigramme et à la rétivité. Je ne compte pas plus sur l’Ane que je n’avais compté sur l’opposition dynastique pour le succès de la révolution dernière. L’Ane, qui fait une guerre d’extermination au chardon, emblème de la presse bonne et mauvaise, a trop de points de contact avec les petits hommes d’État qui inventent les législations de septembre pour que j’aie foi en ses reliques. Défions-nous, défions-nous des gens qui sont toujours prêts à se rouler par terre et qui attendent que nous soyons endormis pour nous jeter à bas.

S’il me fallait chercher l’analyse la plus complète et l’explication la plus profonde de la nature de l’Ane, je la demanderais à Apulée.

Ces mythes grecs, si clairs dans la radieuse jeunesse de l’Hellade, tombèrent un peu dans la subtilité au moment de la décadence. Malgré tout, même dans le latin alambiqué de l’Africain Apulée, ils gardent encore je ne sais quel charme pénétrant.

N’est-elle point saisissante cette allégorie d’un homme jeune et beau métamorphosé en Ane et condamné à ne reprendre sa première forme que lorsqu’il aura mangé des roses ? C’est l’éternelle histoire de l’indigent auquel on ordonne pour se guérir du Haut-Brion et du jus de poulet. C’est le cercle vicieux en un mot ; il faut justement à l’Ane ces roses que nul n’aura la pensée de lui offrir.

J’aperçois là, pour ma part, formulée en termes très suffisamment précis, une nouvelle preuve de la similitude que j’indiquais en commençant entre le travailleur et l’Ane. Pour se relever de la position humiliée qui est la sienne, il faut à l’homme comme à la bête des roses, c’est-à-dire les parfums, la grâce, la science, l’art, l’idéal, tout ce qui brille, tout ce qui sent bon, tout ce qui poétise et enchante l’existence. Or, précisément, c’est ce qui n’est pas à la portée des misérables.

Au milieu d’un sacrifice, l’Ane s’approche du prêtre d’Isis qui porte des roses à la main et il reprend son enveloppe première. En dépit des détails scabreux auxquels se plaît la fable milésienne qui a servi de thème premier à Apulée, l’auteur ne s’est-il pas proposé un enseignement plus haut ? N’a-t-il pas voulu dire à tous que c’est au prêtre qu’appartient la mission d’initier à l’éternelle beauté, de relever et d’affranchir les déshérités de l’univers ?

Que disions-nous ? Que l’Ane était dédaigné de la littérature. Dans le monde antique finissant, il inspire un livre à Apulée ; dans notre monde moderne, déjà bien vieux, et qui, avec ses troubles, ses angoisses, ses fantômes hallucinants, ressemble tant au siècle où vécut l’Africain, Victor Hugo donne à un poème tout entier ce titre : l’Ane.

Ne voilà-t-il pas de quoi consoler le pauvre animal de la disgrâce qui vient de le frapper ? Jadis, martial du moins après sa mort, il fournissait la peau ronflante à ces tambours sonores sur lesquels on battait la charge ; s’il ne courait pas lui-même au-devant d’un trépas sublime, il avait la satisfaction d’y envoyer les autres. Hélas ! on a crevé les tambours en même temps qu’on tuait beaucoup d’autres choses. L’Ane n’est plus utile à la musique qu’en fournissant avec ses tibias les montures de ces clarinettes que Toussenel détestait si cordialement et qui sont de plus en plus nécessaires aux aveugles qui se multiplient dans un pays où les borgnes sont rois…

ÉDOUARD DRUMONT.
(1844-1917) : L’Ane (1882).